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Il y eut, pendant la révolution espagnole, particulièrement en Catalogne, un effort de coordination des moyens de transport terrestres et maritimes que les difficultés croissantes causées par la guerre qui absorbait une somme elle aussi croissante d'énergie humaine, mécanique et thermique, empêchèrent sans aucun doute de mener à bien, mais qui, dans ce qui a été fait, mérite d'être signalé. Nous le verrons dans la description de l'organisation du réseau ferroviaire de Madrid-Saragosse-Alicante, que nous avons pu étudier, et qui nous aidera à comprendre comment fonctionna l'ensemble des chemins de fer de l'Espagne antifasciste quand les travailleurs en furent responsables.
Il existait en Espagne deux grandes associations de cheminots : le Syndicat national des chemins de fer, qui faisait partie de l'Union générale des travailleurs, et la Fédération nationale des industries ferroviaires, qui faisait partie de la Confédération nationale du travail. En juillet 1936, la première de ces deux organisations groupait, à l'échelle nationale, le plus grand nombre d'adhérents, mais la différence n'était plus très grande dans les derniers temps, et notre Fédération voyait ses effectifs grossir continuellement. En Catalogne, nous étions les plus nombreux.
Après que les forces militaro-fascistes furent battues dans les rues de Barcelone, obligées de se retirer dans les casernes et de se laisser désarmer, nos camarades cheminots ne perdirent pas leur temps à danser dans la rue pour fêter la victoire. Le 20 juillet, ils convoquèrent le haut personnel pour le licencier. Le 21 juillet, ceux qui assumaient la responsabilité de la remise en marche des trains, indispensable pour assurer le contact avec les autres régions, ravitailler la ville et envoyer au front d'Aragon les milices improvisées, contrôlaient sans attendre les voies ferrées. Et le même jour, le premier train chargé de combattants faisait son premier voyage sous contrôle révolutionnaire.
Les techniciens écartés furent remplacés par des militants ouvriers qui n'avaient certes pas la haute formation spécialisée de ceux dont ils prenaient la place, mais qui, avec l'appui de la base qui les avait nommés, pourraient faire correctement leur travail. C'était l'essentiel.
Le réseau exproprié comprenait 123 gares, grandes et petites, groupées en neuf secteurs. Le personnel administratif resta à son poste et continua de travailler. Les cheminots firent de même. L'accord fut complet, et l'expropriation acceptée avec un haut esprit de responsabilité. En quelques jours la circulation était redevenue normale.
Tout cela avait été réalisé sur la seule initiative du Syndicat et des militants de la C.N.T. Ceux de l'U.G.T., où dominait le personnel administratif, étaient demeurés passifs, ne s'étant jamais trouvés en semblable situation. Habitués à obéir aux ordres venus d'en haut, ils attendirent. Les ordres, ni les contre-ordres ne venant pas, et nos camarades allant de l'avant, ils suivirent le courant puissant qui entraînait le plus grand nombre.
Aussi, cinq jours après le triomphe de la révolution, quatre jours après la prise de possession des chemins de fer par les syndiqués de la C.N.T., une délégation ugétiste vint-elle demander de faire partie du Comité central révolutionnaire que composaient six de nos militants. On réorganisa donc le Comité, qui fut composé de huit membres. Quoique moins nombreuse, et nulle au point de vue révolutionnaire, la section réformiste fut, par tolérance et volonté de fraternité, placée à égalité quant au nombre de délégués la représentant : il y en eut quatre de chaque côté.
Mais ce nombre apparut bientôt insuffisant. Les sections techniques s'organisant, on s'aperçut qu'il en fallait dix, plus un président et un directeur général, Au total, douze délégués, six pour chaque mouvement syndical. On comptait ainsi, répondant aux activités diverses, la division Exploitation, puis la division commerce, services électriques, comptabilité et trésorerie, services de traction, dépôts d'approvisionnements divers, organisation sanitaire, voies et travaux, contentieux, enfin contrôle et statistiques.
Dès le début, ces divisions ne furent pas dirigées de haut en bas, selon un système étatiste et centralisé. Le Comité révolutionnaire n'eut pas de telles attributions. On restructura de bas en haut ; dans chacune des sections et sous-sections, un Comité d'organisation chargé de la responsabilité du travail avait été formé. Ce Comité disparut assez vite, car il n'était pas nécessaire de mobiliser plusieurs personnes pour accomplir ces fonctions ; il ne resta donc, dans chaque section et sous-section, qu'un délégué choisi par la réunion des travailleurs des gares dans les petites villes, dans les villages, ou dans les villes importantes.
On établit des normes d'organisation, d'initiative et de contrôle. Maintenant, l'ensemble, des travailleurs de chaque localité se réunit deux fois par mois pour examiner tout ce qui se rapporte au travail. Parallèlement, les militants animateurs se réunissent une fois par semaine. Puis l'assemblée générale locale nomme un Comité qui dirige l'activité générale dans chaque gare et ses dépendances. Dans les réunions périodiques, la gestion de ce Comité, dont les membres travaillent, est soumise, après information et examen où tous les assistants peuvent intervenir, à l'approbation ou la désapprobation des travailleurs.
L'impulsion a conservé son caractère nettement fédéraliste. On ne peut dire que la direction ait été imprimée par le Comité révolutionnaire central de Barcelone. Tout simplement, le travail a continué partout, comme avant le 19 juillet. Les membres du Comité de Barcelone se contentent de surveiller l'activité générale et de coordonner celle des différentes lignes qui composent le réseau. Ils relient lentement les diverses parties de l'organisme et préparent une meilleure gestion pour demain.
L'important est que, comme dans les usines et les fabriques, même encore imparfaitement socialisées, sans actionnaires, sans ingénieurs, sans la hiérarchie habituelle, les trains ont continué de circuler, les gares d'être desservies, les voyageurs et les marchandises d'être transportés, les régions hier ravitaillées, d'être ravitaillées aujourd'hui.
On alla même, par amour propre révolutionnaire, jusqu'à faire circuler un plus grand nombre de trains que d'habitude, ce qui, comme on le verra, fut une erreur dont on se rendit compte par la suite.
Dès après le 19 juillet, il circulait 292 trains par jour, sur la totalité du réseau. En octobre de la même année, il en circulait 213. Réduction qui s'explique en partie par la diminution du tonnage transporté, et du nombre de voyageurs, par l'interruption des relations avec l'Aragon, et au-delà de l'Aragon avec la partie de la Castille occupée par les fascistes, et que traversaient auparavant des convois allant à Madrid ou en venant. En octobre 1935, on avait enregistré 28.801 wagons ; en octobre 1936, à conséquence des événements qui bouleversaient tout, on n'en enregistrait que 17.740 ; mais en décembre suivant, le total était remonté à 21.470. L'écart serait beaucoup moindre si l'Espagne n'était pas coupée en deux.
Malgré tout, de tels chiffres nous font comprendre l'importance des activités ferroviaires du seul réseau dont nous nous occupons. Mais encore ne donnent-ils qu'une impression insuffisante. Ce qui semblera plus évident, si l'on sait que les dix sections spécialisées d'administration que nous avons énumérées auparavant se subdivisent à leur tour en sous-sections techniques. Par exemple, le service d'exploitation comprend la régulation horaire des trains, la circulation générale, la distribution du matériel ferroviaire, le trafic des marchandises et les services de toutes les gares. L'organisation générale est donc plus complexe que ce qu'on pouvait, à première vue, supposer.
Nous avons dit que ce fut une erreur que vouloir faire circuler immédiatement le plus grand nombre possible de trains. D'abord, parce qu'il fallait économiser un charbon venant des Asturies cernées et assiégées par Franco, et d'Angleterre, qui, nos ports étant bloqués par la marine de guerre ennemie, ne courait pas les risques de faire couler ses bateaux. Une autre faiblesse technique apparut bientôt ; 25 % des chaudières des locomotives se trouvaient hors de service au moment de la prise de possession révolutionnaire. Or, les tuberies se fabriquaient dans le Pays Basque, lui aussi assiégé par les forces franquistes, et où tous les hommes étaient mobilisés pour la lutte armée. Le rationnement s'imposait donc pour les moyens de transport comme pour la consommation générale. On le comprit un peu tard.
Le problème de la rétribution des travailleurs fut posé d'autant plus que les salaires allaient de 2,50 pesetas par jour pour les femmes employées comme gardes-barrières, et cinq pesetas pour les cheminots faisant un travail non spécialisé, aux émoluments princiers des ingénieurs en chef. La rétribution moyenne était de 6,50 pesetas ; et à l'époque, selon les régions, le kilo de côtelettes coûtait de quatre à six pesetas. On prit comme base trois cents pesetas par mois, pour tous les salaires sans exception. Ceux qui dépassaient cinq cents pesetas - cas des ingénieurs nouvellement engagés - avaient été exceptionnellement ramenés à cette limite, mais le manque de techniciens qualifiés obligea à transiger, et, me disent mes camarades, en février 1937, cinq ingénieurs étant entrés à la direction, il fallut bien leur donner satisfaction en les payant jusqu'à 750 pesetas par mois. C'est-à-dire 2,5 fois plus que les travailleurs de base (1). Il y avait tout de même un long chemin parcouru par rapport aux injustices qui régnaient dans le régime capitaliste.
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Mais des difficultés assez inattendues, quoique non très surprenantes, ont surgi du côté de l'Union générale des travailleurs dont les instances supérieures, qui de Madrid avaient dû passer à Valence, après avoir accepté en principe (et sans doute pour ne pas se trouver hors de la famille ferroviaire), la socialisation syndicale, changèrent d'avis et remplacèrent d'autorité les représentants de leur centrale qui faisaient partie du Comité ferroviaire de Barcelone. Elles nommèrent à leur place des délégués de leur choix qui, plus dociles, s'opposeraient à la socialisation entreprise, ou la freineraient. Cela, sans avoir consulté les adhérents.
On avait pourtant, au début, trouvé une solution intermédiaire, qui aurait pu être généralisée. Dans le Centre et le Sud de l'Espagne, devant le départ des hauts employés, administrateurs ou ingénieurs étrangers qui dirigeaient les s réseaux ferroviaires, l'Etat, incapable de rien faire par lui-même, dut recourir aux organisations syndicales. Un "comité d'exploitation" fut organisé ; il était composé de trois membres de la C.N.T., trois de l'U.G.T., et trois représentants du gouvernement qui se limitèrent à laisser aux délégués syndicaux le soin de tout remettre en route et de tout contrôler. Mais à mesure que le succès des cheminots s'affirma - toujours dans les régions du Sud-Est et du Centre -, l'Etat, selon son habitude, renforça son contrôle et voulut s'emparer de tout. La bureaucratie officielle s'imposait aux réalisations ouvrières, et les Syndicats résistaient.
En Catalogne, la même offensive était menée par le biais de l'U.G.T. dans laquelle se concentraient de plus en plus les socialistes à l'esprit bureaucratico-étatiste et les communistes qui, pour cacher leur jeu, s'appelaient socialistes unifiés catalans. Aussi, nos camarades qui, malgré tout étaient majoritaires, se méfiaient-ils des interventions de l'Etat, même sous prétexte de simple information statistique, et ne laissaient-ils pas contrôler leur administration sur le réseau Madrid-Saragosse-Alicante.
Ce n'est pourtant pas qu'ils ne pouvaient présenter leurs comptes qu'ils nous ouvrirent largement dès le premier moment et que nous allons résumer. Mais auparavant nous devons enregistrer les modifications introduites dans le fonctionnement des lignes catalanes qui, par la réduction du trafic et le déséquilibre traditionnel entre les recettes et les dépenses (2), sont déficitaires. Il faut retenir que le réseau M.S.A., aide pécuniairement le réseau du Nord, lui aussi éternellement déficitaire, rappelons-le, car le chemin de fer revient, en Espagne, pays extrêmement montagneux, et au trafic relativement peu important par la faible densité de sa population et le moindre tonnage des marchandises transportées, trois fois plus cher au kilomètre que dans un pays comme la France. A toutes ces causes de déficit, il faut ajouter les dépenses provenant de la construction de 30 km de voies ferrées dans une partie très mal desservie de la zone républicaine de l'Aragon.
Jetons donc un coup d'œil sur la comptabilité du réseau dont nous avons entrepris l'étude particulière. Au 19 juillet 1936, la compagnie avait en caisse 1.811.986 pesetas ; en Banque, 2.322.401. Total : 4.134.387 pesetas ; le bureau central se trouvant à Madrid, les chefs retirèrent de la Banque 1.500.000 pesetas. Il restait, fin juillet, 2.634.787 pesetas. De plus, la compagnie devait 1.000.000 de pesetas pour des factures de caractère divers. Et il fallait aussi payer le personnel. Les travailleurs expropriateurs, qui acceptèrent aussi le poids des dettes de la compagnie, se trouvèrent donc, en fin de comptes, devant un déficit de 502.660 pesetas. D'autre part, tout le transport vers la partie de l'Aragon qui était en notre pouvoir, c'est-à-dire vers le front est-ouest, se faisait gratis. A tout cela il fallut ajouter l'augmentation du prix du peu de charbon asturien qui pouvait difficilement arriver aux ports méditerranéens, et qui de 45 pesetas la tonne en juillet 1936, passa à 67 pesetas, puis, en février 1937, à 150 pesetas ; les difficultés de transport par cabotage étaient devenues énormes, et allaient s'aggravant (3) en même temps que l'extraction diminuait.
Malgré toutes ces difficultés, malgré une diminution générale du trafic qui faisait baisser les recettes journalières d'une moyenne de 236.383 pesetas à 192.437 dans la deuxième quinzaine de janvier 1937, et bien que l'aide aux chemins de fer du réseau Nord s'élevât à 26-27 % (4) des recettes totales malgré, enfin, l'aide apportée à des lignes secondaires et l'élévation des salaires, les tarifs de transport des voyageurs n'avaient pas encore été élevés en mars 1937, c'est-à-dire neuf mois après le début de la Révolution. Et il n'était pas question de les augmenter. Pour faire face aux difficultés, on préparait une réorganisation générale des moyens de transport.
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Il a fallu que la révolution libertaire fasse irruption en Espagne pour que l'idée de coordonner la production dans à peu près toutes les industries et les services publics de toutes les localités se fasse jour. Naturellement, c'est encore de la C.N.T., de ses militants pleins d'audace et d'imagination créatrice que vint l'initiative. Dans le cas qui nous occupe, ils commencèrent par envisager une réorganisation technique de l'ensemble des chemins de fer, et une synchronisation financière et économique.
Comme pour la culture de la terre, ou la marche des ateliers, des fabriques et des usines, la dispersion des forces représente une perte immense d'énergie, un emploi irrationnel du travail humain, des machines et des matières premières, une multiplication inutile d'efforts parallèles. C'est ce que Proudhon d'abord, puis Marx, qui l'avait bien lu, avaient signalé en montrant l'avantage de la grande entreprise qui utilise le travail collectif et en bénéficie, par rapport à la petite entreprise. Nos camarades n'avaient pas lu Marx, et ne connaissaient guère toutes les théories proudhoniennes, mais le bon sens les guidait. Ils élaborèrent donc un projet de réorganisation des chemins de fer de Catalogne. J'ai eu ce projet en main ; ou plus exactement, ce plan, déjà accepté, et en voie d'application. D'abord, il réunissait en une seule fédération d'exploitation ferroviaire le réseau catalan de M.S.A., le réseau du Nord et le réseau catalan de lignes secondaires. Chacun de ces réseaux constitue un secteur, et tous ces secteurs sont unis localement et régionalement par des Comités de liaison.
"Nous constituons, disent les auteurs dès la première ligne, le Comité central régional qui regroupe toutes les voies ferrées de la Catalogne." Puis viennent les linéaments de la réorganisation révolutionnaire :
Les grandes divisions sont au nombre de trois : trafic, services techniques, administration (on suit ici le modèle du réseau Madrid-Saragosse-Alicante).
La section d'études et d'achats a pour but d'améliorer, par les innovations apportées et l'introduction de matériel approprié, le service des chemins de fer, ce qui permettra de prouver "à tout moment un sens élevé de la capacité constructive de la nouvelle organisation du transport ferroviaire".
Elle doit acheter les matières premières, l'outillage, le combustible, les matériaux de construction et de fabrication, etc. Elle fournit aux sections locales tous ces éléments de travail et centralise toutes les statistiques sur l'activité d'ensemble du réseau.
Le service du trafic se divise en trois sections : exploitation, contrôle et statistiques, commerce et réclamations.
La première section s'occupe de tout ce qui se rapporte au personnel des gares, et des dépôts, de l'organisation des trains, des horaires, des opérations de chargement et de déchargement, du transport et de la livraison des marchandises, de la distribution et du mouvement des wagons, etc. Grâce à la section commerciale, elle étudie les besoins du trafic, des voyageurs et des marchandises, elle établit les itinéraires, organise les dépôts, les hôtels, les transbordements, etc.
La section de contrôle et de statistiques surveille le mouvement général, assume tous les paiements, se charge de la distribution et de la vente des billets, établit les comptes des réseaux selon leurs catégories, d'après les renseignements fournis par les gares.
La section commerciale et de réclamations établit les différents tarifs, tout en s'efforçant de les simplifier ; elle évite les concurrences du système capitaliste, organise des services combinés où tous les moyens de transport terrestre, maritime et aérien seront coordonnés. Elle doit encore étudier la législation étrangère, réviser celle de l'Espagne, modifier certains accords, maintenir des relations amicales avec les compagnies des autres pays, appliquer toutes les nouvelles dispositions officielles, surtout celles d'ordre fiscal - il faut payer les impôts à l'Etat -, s'occuper très particulièrement des transformations de caractère syndical, et enfin des réclamations tendant à améliorer continuellement les services.
Les services techniques constituent trois sections : matériel et traction, énergie, voies ferrées et construction.
La première s'occupe de la conservation du matériel, des dépôts de locomotives, des réserves de wagons, des ateliers. La deuxième, de tout ce qui se rattache à l'électricité et au charbon dans les réseaux, les gares, la traction, le téléphone, les signaux. La troisième, de la construction des voies ferrées, des ponts, des tunnels, des magasins, des gares secondaires, etc.
La division administrative auxiliaire se subdivise aussi en trois sections : salubrité, comptabilité et trésorerie, ravitaillement.
La première assure l'hygiène dans les moyens de transport, s'occupe des employés blessés ou malades, des postes de secours établis dans les gares.
La deuxième, où convergent toutes les ressources financières des chemins de fer, reçoit quotidiennement les recettes de toutes les gares ; elle constitue le centre de toutes les comptabilités particulières, et suit pas à pas le rendement de chaque service.
La section du ravitaillement doit fournir aux employés, et à prix coûtant, les articles de consommation.
Les divisions doivent avoir à leur tête un représentant de chaque réseau. Les sections auront les techniciens nécessaires, qui dépendront du Comité central dont ils pourraient faire partie comme conseillers. Les secrétaires des divisions prendront part aux délibérations du Comité central, de façon que celui-ci ne décidera rien sans connaître l'opinion des diverses branches, lignes et réseaux.
Dans l'organisation générale, le personnel n'appartiendra pas définitivement à une section ou division particulière. Il devra accepter son déplacement selon les besoins du travail.
Tous les comités des divisions sont constitués par un nombre égal de camarades de la C.N.T. et de l'U.G.T. Dans l'organisation générale du trafic, les zones de démarcation seront délimitées par un Comité spécial dont les membres, représentant chaque service, travailleront comme leurs camarades - à moins de cas exceptionnels et reconnus comme tels - et se réuniront après leur service pour examiner les résultats obtenus. Nommés directement par leurs camarades de zones, ou par le Comité central avec l'accord des zones respectives, ils devront contrôler les activités générales et soumettre aux Comités de division leurs observations et leurs initiatives. Chaque Comité de démarcation choisira un responsable chargé de la fonction administrative du bureau.
Dans chaque dépendance, gare, atelier ou brigade, les travailleurs éliront librement un délégué responsable de la direction et de la coordination des services. Quand les sections le croiront nécessaires, elles formeront des comités de contrôle. Dans les localités où il y aura plusieurs sections de réseaux ou lignes diverses, un comité de liaison sera constitué.
Chaque service, ou division, aura des délégués techniciens itinérants chargés d'améliorer sans cesse le bon fonctionnement des chemins de fer.
Enfin, on organisera des écoles professionnelles pour perfectionner les connaissances administratives et techniques des travailleurs afin qu'ils ne continuent pas d'être, comme jusqu'à maintenant, de simples rouages acéphales d'un mécanisme dont la vie et le fonctionnement leur échappent.
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L'idée de la coordination de tous les moyens de transport naquit presque immédiatement après la prise de possession des chemins de fer par les ouvriers. Nous en avons la preuve dans une circulaire datée au 5 novembre 1936 - un mois et demi après le début de la Révolution - et dont voici la teneur :
"La profonde transformation économico-sociale qui se produit dans notre pays nous oblige à ouvrir de nouvelles et larges voies à l'exploitation des chemins de fer. Il nous faut donc multiplier des activités nouvelles et recueillir à ces fins, dans toutes les zones ferroviaires, des éléments d'appréciation qui nous permettront d'étudier le processus de la production, et celui de la consommation, si intimement liés au chemin de fer. Il s'en dégagera des bénéfices au profit de la population.
"Nous demandons donc à tous nos camarades en général, et aux Comités des gares en particulier, de répondre dans le plus bref délai aux questions suivantes :
1. Quelles sont les localités desservies par votre gare ?
2. Quelle est, dans votre région, la zone d'influence du chemin de fer ?
3. Quels sont les moyens de transport entre la gare et les villages situés dans le périmètre de cette zone d'influence ?
4. Quelle est la production industrielle et agricole, et vers quels endroits sont envoyés les excédents ?
5. Quels sont les moyens de transport les plus employés ?
6. Si ce transport n'est pas fait par chemin de fer, quelles en sont les causes, et quelles solutions apporter ?
7. Y a-t-il une coordination des services entre le rail et la route ?
8. S'il n'y en a pas, comment l'établir et quelle solution espérer ?"
Ce premier questionnaire fut suivi d'un autre, beaucoup plus complet et dont la minutie étonne. Pour mieux faciliter sa diffusion, on parvint, non sans peine, à le faire distribuer par le Service de Statistique et de Transports du gouvernement de Catalogne.
Dans ce nouveau document, on ne pose, en catalan, pas moins de cinquante sept questions concernant le milieu géographique, les moyens de communications, l'expédition et la réception des marchandises, l'importance et l'emplacement des écoles, le nombre, la qualité, des taxis, des autobus, des camions de transport, des autos, des bateaux s'il s'agit de localités maritimes, et le degré de collectivisation de chaque branche de transport. Enfin, des précisions sont demandées sur l'aspect syndical du problème.
Un grand nombre de réponses arrivèrent. Elles furent classées dans deux fichiers, l'un se rapportant exclusivement à la vie municipale, de chaque localité où se trouve la gare ; l'autre, à la sphère d'influence économique et aux moyens de transport. Reproduisons le contenu de deux de ces fiches réponses concernant la ville de Tarragone :
Première fiche
1. Tarragone est le chef-lieu de la province.
2. Troisième région économique de la Catalogne.
3. Canton de Tarragone.
4. 30.747 habitants.
5. Gare du réseau de Madrid-Saragosse-Alicante.
6. Port important.
7. Très riche en architecture : cathédrale gothique, murailles romaines, Portes cyclopéennes, forum romain. Aux alentours, un arc romain et la tombe des Scipions. Importantes découvertes dans les excavations de la fabrique de tabac.
Deuxième fiche
1. Constanti de la Canonja.
2. Constanti de la Canonja.
3. Transport par camions.
4. On produit du tabac, du fer, du bois, du charbon végétal, du coke, du linge, des étoffes, du vin, de l'huile, des céréales, de la farine, des noisettes, des amandes, des légumes, et des fruits.
5. L'excédent de la production est envoyé à Barcelone, et à d'autres endroits de la Catalogne. Le vin, les noisettes et les amandes sont embarqués à l'étranger, partie dans notre port, partie dans celui de Barcelone.
6. Sur la route, on emploie plutôt le camion, très peu de traction animale.
7. Presque tout le transport se fait par camion parce que plus rapide, se prêtant mieux à la livraison à domicile, et parce que les démarches pour l'admission et la livraison des marchandises sont plus simples.
8. Il serait peut-être possible d'établir la coordination du chemin de fer et du camion sur la base d'une grande rapidité des transports.
Dans les archives de l'administration du chemin de fer de Madrid-Saragosse-Alicante, semblables renseignements intéressant 200 villes et villages ont été accumulés. On en attend d'autres.
On fait même beaucoup plus. Par un effort méthodique on a établi le nombre exact de lignes, de camions, d'autobus, de bateaux de cabotage existant dans toute la Catalogne. On connaît le total des entreprises, le nom des propriétaires, celui des voyageurs et le tonnage des marchandises transportées. Tout a été enregistré, relevé, tracé sur des cartes spéciales qui, en même temps quelles servent pour préparer le nouvel ordre de choses, montrent l'absurdité du système capitaliste.
En effet, au long d'une ligne ferroviaire, tracée en noir, huit, dix, douze lignes tracées en rouge représentent autant de sociétés et de lignes transport routier qui font concurrence au chemin de fer et se concurrencent entre elles. C'est un foisonnement inutile, que l'on remarque surtout sur le littoral méditerranéen, dans la province de Barcelone, très peuplée et très riche.
En échange, sur la carte des moyens de transport de la province de Lérida, à l'intérieur de la Catalogne, figurent de grandes étendues, des cantons entiers privés de communications régulières. Vastes zones qui, parce qu'elles sont pauvres, sont condamnées à croupir dans l'isolement, l'ignorance et la misère - bien qu'une amélioration des moyens de transport pourrait, comme cela arrive fréquemment, favoriser tel ou tel développement de la production. Et mes camarades, qui placent toujours l'intérêt de la société considérée dans son ensemble au-dessus de l'égoïsme corporatif, ou d'une conception syndicaliste étroite, ont décidé qu'une partie des camions et des autobus en surnombre dans la province de Barcelone seront envoyés dans la province de Lérida. Au début, tout du moins, les lignes établies seront déficitaires, mais les bénéfices obtenus par les lignes de la région barcelonaise permettront de compenser le déficit . Ce qu'il faut, c'est assurer à tous les habitants de la Catalogne maintenant, demain à tous ceux de l'Espagne, une même possibilité de bien-être et de bonheur. N'est-ce pas ainsi qu'agissent les Collectivités d'Aragon, du Levant, de Castille ?
La réorganisation générale s'étend aussi à la navigation. Tout n'est pas encore fait, ni faisable dans ce domaine, étant donné la suprématie maritime franquiste. Mais on a commencé. Voici de nouveau les cartes géographiques. Sur l'une d'elles, deux lignes parallèles tracées en rouge se suivent, l'une longeant la côte: c'est une compagnie de cabotage Barcelone-Tarragone ; l'autre, suivant sur terre la même côte, fait le même trajet. C'est une ligne de chemin de fer. On a supprimé la ligne cabotage. Mais pour l'avenir, on rêve de coordonner le rail, la route et la navigation maritime. Et l'on espère, pour plus tard, y ajouter les transports aériens : coordination, toujours !
(1) En URSS, l'éventail allait et va de 1 à 18. (Sachant que ce livre a probablement été achevé au tout début des années 1970 - NdE).
(2) Pour ces raisons, l'Etat espagnol assurait le paiement d'un intérêt fixe aux capitaux étrangers investis dans les chemins de fer espagnols.
(3) Dans les deux ou trois mois de la guerre, les républicains furent maîtres de la mer grâce à la supériorité du croiseur Jaime 1, qui était en leurs mains. Cela leur permit de continuer la navigation de cabotage, et n'oublions pas que le plus grand nombre de villes importantes se trouvaient sur les côtes de la péninsule ibérique. Mais quand les franquistes renversèrent la situation, grâce au croiseur Canarias, le cabotage s'en ressentit et le ravitaillement en charbon pour la région méditerranéenne finit par cesser.
(4) Observons que la coordination des activités des deux réseaux au moyen d'un comité de liaison résidant à Barcelone était permanente.
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