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Historiquement, le contact entre libertaires et républicains apparaît d'abord sous forme de combat commun contre la monarchie, mais il est aussi d'autres explications. Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, certains courants républicains ont éprouvé une sympathie souvent active pour "les ouvriers". Et certaines affinités de pensée n'allaient pas tarder à s'établir. Nous avons déjà dit que ce fut Pi y Margall, le grand leader, penseur et théoricien du républicanisme fédéraliste qui traduisit, le premier, les oeuvres de Proudhon. Et c'est grâce à ces traductions que naquit en Espagne, la pensée anarchiste. D'un autre côté, le républicain centraliste Joaquin Costa, écrivit, parmi ses nombreux livres, celui qui, sous le titre El Colectivismo agrario en España, recueillait systématiquement toutes les pratiques d'entraide existant dans l'ensemble du pays. Ce livre aurait pu être signé par Kropotkine et ferait une suite appropriée à l'Entraide. Il a conservé, parmi les anarchistes espagnols, une estime qu'il mérite ; et il aide aussi à comprendre pourquoi la révolution libertaire fut possible dans les campagnes.
Enfin, au moment de la dissolution de la Première Internationale, en 1872, le grand juriste républicain Nicolas Salmeron, personnalité éminente universellement admirée, défendit éloquemment, au Parlement, le droit à l'existence de cette organisation révolutionnaire des travailleurs.
Mais surtout, c'est dans les contacts locaux, de nombreuses villes de provinces et de nombreux villages que l'estime et l'appui des républicains envers les libertaires se manifestaient. Avec les républicains fédéralistes, surtout. Dans les périodes de répression qui mettaient hors la loi les syndicats de la C.N.T., et la C.N.T. même, leurs locaux nous étaient toujours ouverts, et nous nous y réunissions librement, accueillis avec une amitié qui ne se démentait jamais.
En 1923, l'auteur de ces lignes, qui se trouvait à Bilbao, a pu faire, au Cercle républicain fédéraliste qui avait ouvert ses portes aux militants de la C.N.T., des conférences sur des sujets libertaires, et il n'a pas oublié les hommes qui se montrèrent si cordiaux envers ce "chico francés" avec lequel ils aimaient tant discuter et converser. Quand, deux ans auparavant, il avait passé clandestinement la frontière pour aller en Russie, comme délégué de la C.N.T., il avait observé l'appui que, dans les villages du nord de la Catalogne, les cercles républicains fédéralistes donnaient toujours à nos syndicats et à nos camarades privés de lieux de réunions. Et il garde le souvenir de personnalités au regard lumineux qui lui ont souvent rappelé le rayonnement moral d'un Boulgakoff et autres tolstoïens qu'il connut à Moscou.
Au reste, le quart environ des adhérents à la C.N.T. étaient républicains. La raison en était qu'ayant à choisir entre cette organisation essentiellement libertaire, et l'U.G.T., de caractère socialiste, donc à vocation étatique, ils préféraient la nôtre dont les principes garantissaient davantage la liberté humaine, alors que le marxisme dont se réclamaient les leaders ugétistes leur apparaissait comme une menace pour l'avenir ("le danger d'un nouveau Moyen Age pour l'humanité", me disait l'un d'eux).
On ne s'étonnera donc pas que non seulement des avocats, surtout républicains fédéralistes, dont Francisco Layret, assassiné par des hommes de main du patronat en 1921, et Eduardo Barriobero, fusillé par les franquistes, juriste et écrivain de talent, qui se battit comme un lion maintes fois devant les tribunaux, et d'autres encore, dont nous n'avons pas retenu le nom, aient toujours été à notre disposition et à notre service.
Comme nous l'avons dit précédemment, la deuxième République n'avait que cinq ans en 1936, lorsque commença notre révolution. En un temps si court, seuls les politiciens - dont Alexandre Leroux, droitier et conservateur - depuis longtemps - avaient eu le temps de se corrompre. Beaucoup de forces de base étaient restées saines, et pour ces hommes les républicanisme englobait la question sociale. Aussi, quand les Collectivités agraires apparurent, nombreux furent ceux qui acceptèrent des postes administratifs, particulièrement dans la comptabilité. Appartenant plutôt à la classe moyenne ils avaient reçu une formation technique et une instruction qui en faisaient des auxiliaires efficaces.
Les idées libertaires avaient donc pénétré dans nombre d'esprits républicains. Au début de 1937, je pris la parole dans un grand meeting organisé par la C.N.T., à Castellon de la Plana. La moitié de l'auditoire - au moins cinq mille personnes - était composée de républicains, restés probes. Cela aussi explique que des réformes sociales libertaires purent être réalisées dans cette ville, dans les conditions que nous avons décrites.
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